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  • Roseline Pendule

Jeanne Barret et Philibert Commerson #17


Jeanne ignorait si l’idée venait du gouverneur ou de M. de Bougainville. Toutefois leur entente ne faisait aucun doute. Philibert, lui, tourmenté par la maladie, accueillit la décision avec soulagement. L’aventurière dut donc accepter à son tour. Accepter de rester vivre sur l’Isle de France et d’y poursuivre ses recherches botaniques. Accepter de ne pas remonter à bord de l’Étoile qui repartait pour terminer le tour du monde sans elle. Accepter d’échouer.


Le couple de botanistes s’installa plus confortablement dans la maison offerte par le gouverneur. Peu à peu, Jeanne troqua son habit rayé de valet pour endosser des vêtements féminins qui lui donnaient l’impression d’être une étrangère à ses propres yeux. L’ancienne voyageuse clandestine se surprenait à regretter l’odeur de sel qui infestait sa peau lors de la traversée maintenant qu’elle pouvait profiter à loisir d’un bac d’eau brûlante.


À d’autres moments, elle appréciait la sécurité d’un toit stable au-dessus de sa tête et embellissait son intérieur de fleurs avant de l’embaumer par sa cuisine. Tournant sa cuillère de bois, elle se demandait si elle reverrait un jour son pays puis, haussant les épaules, rejoignait son homme comme la compagne d’une vie sait le faire avec humilité et amour.


Pour leurs travaux, les scientifiques disposaient d’un bureau dont ils profitaient en étalant leurs précieux spécimens sur les tables et meubles de bois foncé. Chaque sortie ajoutait des trouvailles à leur collection foisonnante, offrant la vision d’un jardin d’intérieur aux parfums entêtants, qui se transformait au fil des heures en galerie de modèles séchés aux allures d’éternelle fragilité.


À l’arrière de l’habitation, une vaste pièce avait accueilli les caisses déchargées de l’Étoile contenant les cueillettes du tour du monde inachevé. Entre deux explorations pour le gouverneur, homme de parole qui, en plus du logis, les rétribuait pour leurs missions, les botanistes continuaient de classer et d’annoter ces souvenirs de terres lointaines. Ils ignoraient si tous ces feuillets représentaient désormais un intérêt.


Lorsque Jeanne se promenait seule au-delà du domaine de l’intendant, elle rencontrait toujours un visage sympathique lui demandant des nouvelles de Philibert dont l’état de santé ne trompait personne. De plus en plus souvent, le botaniste se hâtait de terminer son travail afin de s’allonger à l’abri des volets tirés de leur chambre.


L’assistante prenait alors le relais des investigations, parcourant chaque recoin de l’île à la recherche de sols propices aux implantations d’épices. Puis, elle s’enfonçait dans l’archipel afin de s’assurer que de meilleures conditions de culture ne se cachaient pas entre deux bosquets oubliés. Ici, en tant que protégée de Pierre Poivre, elle s’épanouissait comme une de ces fleurs aux immenses pétales rosés qui faisait son admiration.


Hélas, après quatre années de chaleureux répit sur cette terre qui porterait le nom d’Île Maurice, l’active compagne de Commerson se mua en gardienne de santé, demeurant au chevet du chercheur affaibli. Elle faisait au mieux pour soulager les douleurs qui empêchaient l’homme de marcher, elle veillait sur son sommeil agité. Les yeux baissés sur le couchage blanc, l’épouse de cœur suppliait le ciel de leur accorder davantage de quotidien partagé.


Qu’il avait été bon de retrouver son amant après la mascarade maritime ! Comme le travail avait été enrichissant à ses côtés sur les herbiers de Madagascar ! Quel plaisir d’écouter Philibert conter la cueillette des spécimens qu’il avait trouvé seul sur l’Isle Bourbon ! Comme ses yeux pétillaient au milieu du jardin de Pamplemousses, le premier domaine de plantes tropicales du monde ! Que le temps des amoureux paraissait précieux sous les vents chauds de l’océan Indien…


Mais en mars 1773, ces moments rejoignirent les souvenirs de Jeanne qui pleura son amour disparu pour toujours. Sous le regard bienveillant du gouverneur Poivre, la botaniste apprit à vivre seule, à l’abri du besoin grâce au poste de Philibert dont elle prit pleinement la relève, redoublant d’efforts malgré son chagrin.


Le soir, lorsque la nuit interrompait ses explorations ou assombrissait les papiers sur lesquels elle œuvrait, Jeanne se rendait sur la plage. Le regard au loin, elle imaginait un bateau voguant vers l’Europe, puis elle rentrait à pas lents dans sa maison blanche, silencieuse silhouette endormie dans son cocon de verdure.


Sans Philibert à ses côtés, l’attente du sommeil se prolongeait, pesante. Organisant mentalement sa journée du lendemain pour détourner la tristesse, la femme esseulée n’imaginait pas que son quotidien s’envolerait d’ici peu en éclats…

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