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Roseline Pendule

Jeanne Barret autour du monde #5


À bord de l’Étoile, les jours s’égrenaient pour former des semaines devenant des mois. La traversée de l’Atlantique s’étirait, usant l’équipage occupé nuit et jour à écoper la cale où l’eau suintait, s’immisçait sans relâche depuis la tempête. L’épuisement, palpable, marquait les visages, les corps, les gestes mais aucun répit ne serait possible avant l’escale nécessaire aux réparations.


Chacun travaillait sombrement, le moral affaibli par la perte du compagnon Béroute. Quel sacré bonhomme il était ! Costaud comme un bœuf et agile comme un singe. Toujours le mot pour rire en plus. Une personnalité qui aurait été bienfaisante en ces moments difficiles. Mais la mer avait choisi de l’emporter.


Jeanne, affairée également, pensait souvent au marin disparu. Ne le connaissant guère plus que les autres, elle ne l’aurait pas approché davantage. Toutefois, elle ne cessait de se demander ce qu’elle avait heurté, lorsque la lame l’avait emportée, arrêtant son trajet et lui sauvant la vie.


Commerson n’avait constaté aucune plaie sur son dos lors de l’auscultation rapide qu’il avait effectué, caché entre deux hamacs, à la suite de l’incident. Cela ajouté au fait que l’homme tombé à la mer se trouvait juste derrière elle… La culpabilité la rongeait même si elle n’aurait rien pu faire, insignifiante poupée de chiffon livrée à l’emprise des flots.


Selon la tradition, les affaires de Béroute avaient été mises en vente après la modeste cérémonie exécutée par l’aumônier du navire. Philibert les avait achetées afin que l’argent soit remis à la veuve du disparu lorsqu’on lui annoncerait la terrible nouvelle, au retour, d’ici des mois. La générosité du docteur ne surprenait pas Jeanne bien qu’elle se demandât s’il n’y avait pas autre chose derrière ce geste.


Quand elle osa lui poser la question, son ami évoqua vaguement une question de principe, que Monsieur de Bougainville aurait fait une démarche identique, qu’ainsi il justifiait sa confiance. Peut-être. Ou il savait que la chute de Jeanne avait entraîné le marin non encordé alors qu’ils étaient tous deux chargés de veiller à cette mission…


Depuis ces événements, le valet-Jeanne se tuait à la tâche. Avec une force impressionnante, Bonnefoy participait à l’entretien de la flûte, portant et vidant les seaux avec une ténacité digne des hommes les plus robustes. Certains commencèrent d’ailleurs à lui attribuer des sobriquets, preuves d’une réputation de courage toute nouvellement acquise.


Jean s’initiait aussi à la réparation des voiles : les cacatois avaient été réduits en lambeaux par les vents. Il fallait aussi d’urgence restaurer les perroquets afin de gagner en vitesse. Assis en cercle parmi les marins, la tête baissée sur son ouvrage, le faux valet ne pouvait s’empêcher de lorgner ses compagnons d’aiguille, les genoux couverts de tissu blanc. Et dire qu’à terre ils se moquaient des travaux féminins ! En cet instant, nul n’aurait songé à différencier les sexes.


L’agitation quotidienne détournant l’attention de son cas, Jeanne appréciait de sentir la tension s’atténuer sur ses épaules. Philibert lui manquait, bien sûr. Être sur le même navire et se tenir volontairement à distance lui vrillait le cœur. L’espoir était grand de s’éclipser en sa compagnie, au milieu de la nature, lorsqu’ils partiraient en exploration.


Justement, M. de La Giraudais ouvrait de grands yeux à la proue du bâtiment.

Pour quelle raison ? Serait-ce l’esquisse d’un sourire sur ce visage continuellement sérieux ? Plusieurs matelots accouraient pour rejoindre le commandant. Est-ce que… Oui, trois mois après le départ de Rochefort, l’Étoile, à la coque blessée, au mât maltraité, aux hommes usés, s’approchait de la terre. Terre !

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