Oui, je sais, normalement le lundi, c'est Scribby ! Alors, pourquoi, aujourd'hui, pas de Scribby mais une Chronilettre ?
Parce que Madame Culture est partie rencontrer le Lapin de Pâques ? Vu que cette tradition vient d'Allemagne où c'est un lièvre qui apporte les œufs en chocolat aux enfants, ça risque de lui prendre du temps...
Mais là n'est pas la raison.
Aujourd'hui, c'est une nouvelle Chronilettre, qui fait suite à la première correspondance des Impressionnistes.
Je vous la livre afin de remercier les premiers inscrits qui ont déjà reçu leurs courriers et qui auront, ici, un peu de lecture supplémentaire. Afin également de faire patienter dans le plaisir, ceux dont les Chronilettres sont en chemin et les Chroniactivités en préparation. Et enfin, pour satisfaire les curieux qui voudraient en savoir un peu plus. Je vous rassure, toutes les Chronilettres ne sont pas tristes comme celle-ci !
Bonne lecture !
Montpellier, 5 décembre 1870.
Monsieur Renoir,
C’est un père abattu de chagrin qui vous écrit. Je sais à quel point vous étiez proche de mon fils Frédéric mais voilà, la guerre nous l’a enlevé à jamais. Vous savez que, contre notre avis à tous, il avait refusé que nous achetions un remplaçant pour partir au front à sa place. Son entêtement aura eu raison de lui.
Il a été tué ce 28 novembre à Beaune-la-Rolande. Récupérer sa dépouille fut un terrible périple dans le froid glacial du Loiret. Ses quelques compagnons du 3e régiment de zouaves m’ont heureusement prêté main forte. Et puis, au début de ma recherche, je questionnais les gens à propos d’un sergent, je n’ai appris qu’en cours de route que Frédéric avait été promu la veille de son décès.
Quoiqu’il en soit, il est désormais enterré au cimetière protestant de notre ville. Dire que nous aurions fêté son 29ème anniversaire demain, quel malheur de voir notre jeunesse disparaître ainsi au combat.
Je ne cache pas le lourd remord de l’avoir laissé s’engager mais vous connaissez aussi bien que moi la détermination qui le caractérisait. Avant ses 20 ans, il me pressait déjà pour suivre sa formation de peintre alors que je souhaitais tant qu’il poursuive ses études de médecine. Mais je ne pouvais que plier face à son engouement et je lui trouvais un don indéniable.
Excusez mes considérations pragmatiques mais savez-vous où Frédéric en était de ses locations d’atelier ? Je ne voudrais pas laisser d’affaires non réglées. Peut-être habitiez-vous encore ensemble avant vos départs respectifs…
Notre maison de Méric détient quelques toiles dont je ne sais comment disposer. Je pense offrir Le Mariage mystique de Sainte Catherine au vicaire de Beaune, un juste remerciement pour son aide lors de mes investigations. Cette copie d’une œuvre de Véronèse témoignera des débuts de la vocation de Frédéric lorsqu’il suivait encore les cours de dessin au musée Fabre.
Je vous confie la lourde tâche de prévenir les amis proches de Frédéric dont il me parlait lors de ses séjours d’été parmi nous, j’ignore leurs adresses depuis leur dispersion de Paris. Et puis, ouvertement, vous demeurez mon préféré. Je sais que mon fils entretenait un rapport tout particulier également avec Monsieur Monet mais je lui ai toujours trouvé le ton trop rude et les manières peu délicates, on dirait que cet homme ne doute jamais de rien.
C’est sûrement pour cela que Frédéric le considérait comme un maître, un meneur, et là, je ne peux que me montrer reconnaissant. Tout ce travail allait enfin porter ses fruits. Frédéric semblait très enthousiaste après l’exposition de sa Scène d’été au Salon de cette année. Il affirmait qu’il était lancé et que tout ce qu’il exposerait serait dorénavant regardé. C’est tout ce que je lui souhaitais, nous n’en saurons rien, hélas.
Il me faudra du temps pour estomper les terribles paysages traverser pour retrouver mon fils. Ces débris d’armes, ce sang et mon enfant mortellement blessé au bras et au ventre… Quelle horrible vision. Heureusement, Marc, notre cadet, se porte bien.
Surtout prenez soin de vous,
Gaston Bazille.
P.S : N’oubliez pas de prévenir Monsieur Edmond Maitre, proches comme ils étaient tous deux, celui-ci ne manquera pas de vous répondre. Et peut-être également Monsieur Zola…
Scène d'été de F. Bazille
Huile sur toile,1869
Fogg Art Museum, USA