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Roseline Pendule

Jeanne Barret exploratrice #20


Debout dans l’encadrement de la porte, Jeanne regardait l’océan s’étendre infiniment face à son cabaret. À ses côtés, regroupés autour des grandes tables de la terrasse, les marins éreintés admiraient les flots au lieu de les combattre.


La propriétaire repensait à l’énergie investie pour insuffler la vie à cette ancienne baraque. Désormais, de nombreux souvenirs habitaient les lieux, des discussions animées, des retrouvailles expansives, des fins de journée un peu trop arrosées. Et puis, une rencontre.


Après seulement quelques mois de sa nouvelle vie, la cabaretière avait conquis la sympathie de tous les marchands sédentaires de l’île. Son humeur agréable avait aussi fait sa réputation auprès des vendeurs de passage qui n’hésitaient plus à lui envoyer leurs clients. Les habitants de l’Isle de France animaient quotidiennement la salle où, rassurés, ils avaient été aimablement accueillis malgré les règlements toujours plus stricts des autorités.


En métropole, les lois au sujet des tavernes encourageaient les tenanciers à sélectionner toujours davantage leur public, à écarter le voisinage pour ne restaurer que les voyageurs. Les anciennes tavernes tendaient à se transformer en cafés pour lettrés. Heureusement, ici, l’éloignement des ordres garantissait à Jeanne l’affluence de ses habitués. Pourtant, en cette année 1774, elle s’apprêtait à laisser cela derrière elle, à tout quitter.


Que d’horizons différents s’étaient croisés autour d’un bon repas ! Que de marins avaient défilé dans cette pièce ! Mais un seul avait su regarder la patronne au-delà de son métier mal reconnu. Cet homme fatigué par le voyage depuis la France était arrivé pour, sans cesse, revenir devant le comptoir de bois. De regards échangés en mots délicatement placés, l’officier avait réussi à gagner la confiance puis le cœur de celle qu’il avait désiré dès la première seconde.


Jamais Jeanne n’aurait cru accepter les avances de l’amour. Longtemps, le sillon de la peine creusé par la mort de Philibert était demeuré à ciel ouvert, à vif. L’ancienne botaniste avait souffert de troquer ses délicats herbiers et ses livres contre des planches et des morceaux de viande saignante. Puis, les vapeurs de vin avaient supplanté les senteurs florales, les conversations braillardes éloigné le silence pesant et la présence de Jean évincé la terne solitude.


Jean Dubernat avait posé les pieds sur le sable de l’île sans savoir qu’il n’aurait plus envie de remonter à bord de son bateau. Quand son hôtesse l’avait honoré du récit de sa vie, le courageux marin avait cru qu’une personnalité aussi intrépide n’aurait rien à partager avec un simple gradé tel que lui. Pourtant, les sentiments s’imposant, il avait tenté sa chance et la complicité laborieusement acquise s’était transformée en mariage sous le soleil du printemps.


Hélas, les réjouissances de l’union juste célébrées, les tristesses de l’existence avaient rattrapé le couple niché à l’arrière du cabaret. Un marin originaire de Saint-Aulaye, comme Jean, s’était fait le messager d’une macabre nouvelle. L’époux avait ainsi appris que ses deux parents, son unique famille, avaient perdu la vie et qu’il demeurait seul face aux arrangements à prendre concernant leur petite propriété de province.


Rien ne pouvant se régler depuis l’autre bout du monde, les décisions avaient vite été incontournables. Jeanne, dont le mari ruminait à l’idée de la contraindre à retourner sur le continent, avait avancé que le moment de rentrer était inévitable, qu’elle avait aussi des affaires à mener à propos du testament de Commerson et que le nouveau roi au pouvoir ne lui donnait plus d’inquiétude quant à son retour au pays.


Alors, encore abasourdis par ce tourment, les amants avaient rassemblé leurs affaires, annoncé leur départ et confié le cabaret au charcutier qui profiterait de la clientèle acquise. Maintenant, Jeanne emplissait sa mémoire des dernières images de l’île qui prendraient la mer avec elle, d’un instant à l’autre. Le temps était venu de clore son tour du monde !

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