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  • Roseline Pendule

Etre une femme artiste au XIXe siècle


Comme tous les lundis, la jeune femme se préparait pour sa séance de copie au Louvre. Elle saisit les deux épingles qui étincelaient sur sa coiffeuse inondée du soleil traversant les hautes fenêtres de sa chambre. Elle souffrirait encore de la chaleur dans sa longue robe et ses bottines lacées. Seul son chapeau, parure obligatoire de toute demoiselle respectable, la protégerait utilement. Il faudrait qu'elle vérifie les fleurs ornant son couvre chef sinon Mère lèverait les yeux au ciel, excédée par cette insouciance esthétique de jeunesse.

A point nommé, dame Cornélie se manifesta :

- Mariella, es-tu enfin prête ? Liz et moi attendons.

- J'arrive, Mère. J'arrive.

D'ici une minute, elle serait descendue. Pour rien au monde Mariella ne manquerait ces séances hebdomadaires de dessin. Comme sa sœur cadette, et même bien davantage, la jeune femme rêvait de marcher dans les pas des rares femmes peintres qui avaient arraché le droit d'apposer leurs noms sur leurs toiles avant de gagner une véritable réputation : Elisabeth Vigée-Lebrun et Adélaïde Labille-Guiard avaient ouvert la voie plusieurs décennies auparavant.

En ce mois de mai 1870, Mariella comptait multiplier les esquisses afin de se présenter dès que possible dans un atelier, un vrai, tenu par un grand nom parisien à l'esprit ouvert qui acceptait les femmes dans ses cours. Bien sûr, elle serait méfiante. L'aînée des Bertin n'avait que trop entendu les plaintes de ses compagnes du Louvre. Leurs familles avaient déboursé des fortunes pour les inscrire dans des ateliers professionnels. Ravies à leur entrée dans ces antres réservées aux hommes, les nouvelles avaient travaillé dur. Puis, elles s'étaient rendu compte de leur traitement de défaveur. Le maître d'atelier passait deux fois moins dans leur pièce que dans la vaste salle attribuée aux participants masculins tandis que les mères insatisfaites dévoilaient le tarif qu'elles avaient dû verser. Il s'élevait au double des autres inscrits. Un véritable scandale dont elles furent les seules à s'offusquer. Prévenue, Mariella ferait un choix éclairé qui la mènerait vers une carrière de peintre réussie.

Sa blonde tête emplie de songes picturaux, la demoiselle descendit l'escalier de bois la menant au vestibule de la demeure. Idéalement située derrière les Tuileries, à l'abri des regards, la maison offrait la proximité justifiant que sa mère, sa sœur et elle se rendent à pied au musée. Mariella s'en réjouissait mais Liz, qui avait aux yeux de son aînée un comportement de "duchesse pincée", exécrait emprunter l'un des nombreux fiacres sillonnant la capitale. En vérité, les chevaux effrayaient la cadette Bertin depuis toujours. Mère, de son côté, chaperonnerait ses filles en bougonnant contre la poussière, les crieurs de journaux et les vendeurs proposant leurs légumes sur leurs charrettes à bras. Elle détournerait le nez face aux marchandes de plaisir dont les oublies au parfum sucré tenteraient d'émoustiller ses narines. Peu importe, rien n'entamerait l'enthousiasme de Mariella munie de son carnet et de ses crayons.

- Mariella, Mariella, tu as entendu ce que Monsieur Désarges vient de dire à Mère ?

Liz s'accrocha au bras de sa sœur, faisant onduler ses boucles brunes lâchement disposées sous son chapeau. Mariella, dont les oreilles étaient aussi occupées que les yeux à dévorer la vie citadine, n'avait rien entendu de la conversation entre sa mère et leur voisin, sorti de sa maison en même temps qu'elles.

- Toujours dans la Lune, toi ! Voilà une information qui va te faire redescendre en vitesse. D'après Monsieur Désarges, le Louvre envisagerait de fermer ses portes aux femmes, comme au temps de Monsieur David. Il y en a encore qui craignent pour la décence des lieux, ajouta Liz sur un ton démesurément pompeux.

- Arrête Liz, ça n'a rien de drôle. Ce serait même une catastrophe...

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