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Tour du monde au féminin #7

Roseline Pendule

Le navire réparé, l’heure était venue d’appareiller. Le séjour à Montevideo avait empli les yeux de Jeanne des mille merveilles que recélait cette région dont elle n’aurait jamais imaginé fouler la terre quelques mois plus tôt. Philibert et elle avaient pu s’éloigner dans la nature, loin du regard des hommes d’équipage. Au milieu de leur exploration scientifique, observant des spécimens inconnus, les amants cachés s’étaient retrouvés un bref instant.


Après toutes ces semaines à feindre d’être un homme, cette femme déterminée avait pu se laisser aller dans les bras réconfortants de celui qui l’aimait tant. Sans qu’elle ait pu les contrôler, ses larmes avaient roulé sur ses joues pour se perdre dans le tissu de la chemise du médecin. Toute la tension accumulée depuis le départ, les frayeurs causées par les insinuations des marins, le choc de la tempête, le drame de l’aumônier, tout s’échappait de son corps, de son cœur.


Puis, le travail avait repris. Marchant avec précaution dans cette végétation inouïe, les botanistes avaient scruté chaque fleur, chaque feuille, espérant ne manquer aucun trésor. Hélas, le temps alloué aux recherches s’était écoulé à toute vitesse obligeant les amoureux à se contenter d’une récolte qui les occuperait jusqu’à leur prochaine escale : le Brésil.


Il fallut à Jeanne une grande dose de courage pour remonter à bord de L’Étoile. L’obstination mêlée d’enthousiasme du quai de Rochefort lui paraissait bien loin. Qu’est-ce qui la poussait à rejoindre ces matelots hostiles ? La réponse s’imposait d’elle-même, mélange d’amour et de ferveur scientifique. Resserrant l’arme blanche qui flottait à son côté et ne la quittait plus depuis son installation chaotique dans le dortoir, elle retrouva sa place sur le pont.


Dans le vent favorable du matin, le commandant activait ses hommes afin de retrouver au plus vite La Boudeuse qui devait se languir de l’arrivée du ravitaillement. Heureusement, M. de Bougainville, prévoyant, avait établi plusieurs points de rendez-vous et si la mer se montrait coopérative, les deux bâtiments croiseraient à Rio-Janeiro.


Entre les herbiers à préparer et les corvées que lui confiaient les marins, Jeanne n’avait guère le temps de penser. Les premiers jours de retour en mer, elle oublia jusqu’à la pression de la supercherie qui la mettait en défaut et levait la tête plus souvent, souhaitant vivre plus intensément la traversée. Sentir les embruns sur son visage, attendre impatiemment la suite de l’aventure, ces aspirations s’emparaient d’elle, au risque de lui faire baisser sa garde.


L’équipage suivait la routine de navigation et l’ennui, à moins que ce ne fut simplement la nature humaine, ou la langue perfide d’un homme rancunier, mit en marche de nouveaux murmures au sujet du valet. Le chirurgien, notamment, n’avait guère profité de l’escale de Montevideo, ridiculisé face au refus du docteur Commerson de l’accompagner lors de ses pérégrinations à terre. Pour qui se prenait ce protégé du comte de Bougainville ?


De la calle à la pointe des mâts, Vivès n’aspirait qu’à se venger. Quoi de plus efficace pour assouvir sa rancœur que de s’en prendre à un être cher lorsque l’on veut nuire à quelqu’un ? La relation de proximité entre le maître et son assistant lui offrait la victime sur un plateau. Ses premières tentatives de spoliation avaient réussi auprès de ses compagnons, il lui suffisait de rallumer la mèche de la médisance.


Discrètement, le manipulateur s’approchait d’un marin affairé, proposait une aide toujours bienvenue et entamait une conversation qui ne tardait pas à aborder la réputation de travailleur du dénommé Bonnefoy. Clairement, ce personnage en faisait trop pour être honnête. Continuellement à l’affût d’une mission supplémentaire, aux aguets des consignes de son médecin, ce n’était pas de la simple dévotion, il aurait fallu être stupide pour ne pas s’en apercevoir.


Du mousse au second, le chirurgien semait son poison. Dans le dortoir, Jean trouvait son hamac sali, ses affaires dérangées et se contentait de serrer les lèvres quand un des hommes lui chuchotait des mots déplacés à l’oreille. L’humiliation emplissait ses joues de rouge et ses yeux de larmes qu’il fallait à tout prix ravaler.

Lorsque Commerson intervint, les gorges se déployèrent et le terme fatidique refit surface :

— Il n’y a qu’une femme que l’on veuille défendre ainsi !


La rumeur gagna le navire aussi rapidement qu’une traînée de poudre enflammée et la porte de la cabine du commandant ne réussit pas à retenir l’incendie. Chesnard de la Giraudais ne pouvait prendre le risque de retrouver La Boudeuse avec une telle ambiance à son bord. Les marins auraient tôt fait de propager leurs sarcasmes jusqu’aux oreilles de Louis-Antoine de Bougainville qui ne supporterait pas une ingérence capable de compromettre son tour du monde.


Prenant les choses en main, le capitaine circula entre ses hommes, entendit les différentes versions de moqueries et de suppositions à propos de Bonnefoy et convoqua le valet dans son bureau.

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