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Roseline Pendule

Tour du monde au féminin #4


— Affaler les voiles ! rugit le commandant.

Sa voix se perdait au milieu du brouhaha régnant sur le navire tourmenté par les lames déchaînées.

Depuis plusieurs heures, la mer azurée du début de voyage avait laissé place à un monstre acharné et l’organisation structurée de l’équipage à une précipitation affolée. Les hommes tiraient, poussaient, se baissaient, se relevaient, hurlaient, combattant rageusement les flots.


L’Étoile tanguait, gémissait, sursautait dans les creux des vagues, secouée telle une coque de noix par les vents furieux. À la proue, apparaissaient de géants murs d’eau salée qui s’écrasaient sur le pont, engloutissant tout sur leur passage. Les pièces de l’accastillage tiraient sur leurs liens, caisses grinçantes prêtes à s’écraser sur le bord opposé, attisées par les bourrasques cinglant la flûte en tous sens.


— Vite ! Plus vite ! s’égosillait le second envers les matelots dégoulinants dont la fatigue croissait à chaque minute.

Cette lutte disproportionnée contre les brusques remous les transformait en pantins désarticulés au regard hagard. Si le tonnerre n’avait pas grondé si fort, on aurait pu surprendre les plus téméraires d’entre eux en train de murmurer quelque prière, suppliant leur dieu ou le furieux Poséidon d’épargner leur vie une fois de plus.


D’abord cantonnés à l’intérieur du dortoir, le Docteur Commerson et son valet furent chargés de distribuer des cordages aux malheureux qui auraient oublié de s’harnacher avant la tempête. Jeanne, transie jusqu’à la moelle, le visage fouetté par les embruns acides, avançait à tâtons dans cette ambiance obscure sporadiquement tranchée par une foudre assourdissante.

— Attachez-vous ! cria-t-elle au marin qu’elle discernait devant elle.

Celui-ci lui arracha le cordage des mains, s’enroula la taille avec des gestes désordonnés avant de reprendre ses efforts sur la suspente.

Les rafales de vent lui coupant le souffle, sa respiration devenait incontrôlable mais la voyageuse continua d’arpenter le pont, concentrée sur sa mission. Soudain, une trombe d’eau salée s’abattit sur le flanc du navire, l’emportant violemment.

Noyée sous le liquide glacé, Jeanne n’eut que le temps de serrer ses doigts autour de sa corde. L’eau pénétra dans son nez, sa bouche, bloquant toute tentative d’inspiration. La malheureuse tenta de bouger ses jambes pour résister à l’assaut du courant mais un choc lui cingla le dos, irradiant de douleur son corps entier. Paralysée, elle se sentit tomber, tomber...


Lorsque l'eau rebroussa enfin chemin, Jeanne toussa et reprit un peu d’air malgré ses poumons douloureux. Clignant frénétiquement des yeux, elle secoua la tête, chercha à se repérer. Au moins, elle se trouvait encore sur le pont où tout n’était que pluie, mer, découragement. Quelqu’un s’approchait d’elle.

Philibert Commerson saisit sa bien-aimée sous les bras afin de la relever. Regardant par-dessus son épaule, le botaniste figea son geste. Il plissa ses yeux vers l’étendue noirâtre de l’océan et hurla :

— Homme à la mer ! Un homme à la mer !

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