Encore une caisse et le convoi serait prêt à partir. Dans le souffle du vent d’ouest, les voyageurs quittaient le navire par petits groupes retrouvant maladroitement la terre après la longue traversée depuis l’Isle de France. Seule Jeanne, descendue en hâte après un périple qu’elle avait trouvé des plus ennuyeux, s’impatientait déjà auprès des chariots devant la conduire avec son chargement au cœur de Paris.
Cette navigation en tant que dame n’avait rien eu de commun avec les journées mouvementées à bord de l’Étoile de M. de La Giraudais. Pas une fois, la simple passagère n’avait été rabaissée ou regardée de travers lors des conversations avec les invités du bateau, à l’opposé du monde côtoyé huit ans plus tôt. Huit années, aventureuses, surprenantes, nécessaires, pour regagner son pays où, à cet instant, la représentante du botaniste Commerson était attendue chez le roi.
Jean, le mari, avait déjà pris une autre voiture pour regagner au plus vite son Périgord natal et s’occuper de ses affaires de famille. Malgré l’inquiétude causée par les décès à gérer, il avait quitté son aimée un sourire aux lèvres, lui rappelant la tête du gouverneur de l’Isle de France quand il avait lu la requête que Louis XVI avait fait parvenir jusqu’à son bureau.
La missive transmettait le souhait royal de recevoir Jeanne dès son arrivée en métropole, à la plus grande consternation de l’intendant dont le mépris envers cette femme de courage était connu de l’îlot entier. Heureusement, enfermé dans sa propriété, Jacques Maillart du Mesle s’était montré inoffensif. Toutefois, le couple Dubernat n’avait pas dissimulé son plaisir à l’audition de cette merveilleuse nouvelle. Jeanne, demandée par Louis XVI en personne, un miracle !
Insatiable curieux, le monarque s’était entouré des meilleurs conseillers afin de constituer son Jardin. Suite au décès du docteur Commerson, il avait pris connaissance de ses dernières actions et volontés, dévoilant ainsi l’importance du rôle de son assistante. Depuis le moment où il avait su la localiser, son souhait intense était de mettre la main sur les mille découvertes dont elle avait la garde. Cet instant allait enfin arriver.
Jeanne parcourut les chemins cabossés jusqu’à Paris avec une impatience frénétique. Se remettant dans sa peau de botaniste, elle élaborait mentalement les discours à tenir face au roi. En priorité, les échanges devraient être monopolisés par les herbiers afin d’éviter le rappel des actions fautives exercées pour les recueillir. Même si la coupable savait que le descendant de Louis XV avait peu de ressemblances avec son grand-père, inutile d’attiser les tensions.
Tant inquiète qu’impressionnée par son entrée dans le cabinet du dirigeant de France, la voyageuse du tour du monde cachait difficilement sa fierté. Elle avait accompli son rêve premier, avait accompagné Philibert jusqu’au bout et clôturait son incroyable aventure. Et quelle plus belle reconnaissance que l’accueil en cet endroit, suivie des cinq mille espèces végétales provenant du monde entier ?
Rapidement, Jeanne ressentit l’ambiance bienveillante dans laquelle la recevait le représentant des Bourbons. Aucune allusion à son premier voyage, juste des mots honorant la carrière de son défunt amant et son courage, à elle. Louis XVI lui témoigna de la considération, salua ses connaissances botaniques et la présenta au comte de Buffon qui s’extasia devant le trésor naturel qu’elle offrait au royaume.
Georges Louis Leclerc de Buffon expliqua les transformations qu’il avait apporté au Jardin royal des plantes depuis sa constitution. L’ambitieux naturaliste en avait fait un véritable centre de recherche et un musée regorgeant de plantations inédites sur le territoire. Parlant à Jeanne comme à une égale, le scientifique l’entraîna dans le Cabinet d’Histoire naturelle en plein travaux d’agrandissement « afin de recevoir la nature entière », comme il se plut à le dire.
Ensuite, Jeanne assista à la réception des caisses qui l’avaient accompagnée chaque jour depuis son départ en 1767. Les premiers couvercles soulevés, elle aperçut les feuillets si souvent manipulés, sachant qu’il ne pouvait exister meilleur endroit pour recevoir toutes ces merveilles.
Le cœur exalté par la mission enfin accomplie, l’ancienne petite provinciale désargentée reçut l’attestation de la pension qui lui serait versée jusqu’à la fin de ses jours. Glorieuse récompense pour ses services rendus envers le royaume. Ne lui restait plus alors qu’une obligation à remplir avant de retrouver son mari.
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