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Roseline Pendule

Jeanne Barret au Brésil #9


Comme l’usage l’exige sur un navire, la révélation du valet Bonnefoy se répandit dès le lendemain matin sur l’intégralité du bâtiment. Il y eut de nombreux rires, quelques exclamations incrédules puis la remontée jusqu’à Rio-Janeiro se poursuivit dans le calme. À l’approche du Brésil, les bateaux apparurent en quantité et les équipages venus d’Europe échangèrent des nouvelles de part et d’autre.


La Boudeuse étant arrivée peu de temps auparavant, les hommes de l’Étoile se réjouirent de voir leur première mission accomplie et de retrouver leurs comparses. Quant à M. de La Giraudais, rasséréné par ce rendez-vous honoré, il entretenait la conversation de pont à pont en frôlant les embarcations qu’il croisait. Le mouillage dans la baie de Rio se fit sans encombre et M. de Bougainville, rassuré de voir son chargement de survie à bon port, vint saluer son ami.


Jeanne profita de ce remue-ménage pour retrouver Philibert qui préparait le matériel de leur prochaine expédition. Convaincus que cette étendue couverte de vert flamboyant leur offrirait d’extraordinaires découvertes, les deux complices se mirent en route pour la terre ferme. Le comte de Bougainville venait d’apprendre que le vice-roi de Rio l’attendait et il accueillit le botaniste suivi de son valet avec contentement. Il les pria même de l’accompagner à son rendez-vous important.


La spacieuse demeure royale étincelait au milieu des modestes maisons des environs. Les invités furent reçus autour d’une longue table garnie de plats plus appétissants les uns que les autres pendant que Bonnefoy était prié de se joindre aux serviteurs du domaine qui mangeaient dans la cuisine.


Le vice-roi proposa son aide aux voyageurs. Cet homme à la peau dorée semblait ravi de les recevoir. Pourtant, son pays était sujet à toutes les convoitises depuis que des mines d’or et de diamants avaient fait de Rio la capitale du Brésil. Le transit de bateaux, principalement portugais, s’effectuait désormais sans relâche. Entre les murs du palais, cependant, régnait une paisible ambiance.


Jean écarquillait des yeux émerveillés sur l’abondante vaisselle qui emplissait les tables de la cuisine royale. Lui qui avait connu la plus noire pauvreté après la mort de ses parents se trouvait à des milliers de kilomètres de la France en train de contempler coupes sculptées et autres joyaux culinaires. Puis, son regard se posa tour à tour sur chacun des employés. Ici aussi, on le dévisageait comme si l’on voulait transpercer le masque de ses traits trop fins.


Toutefois, le valet français dut se rendre à l’évidence : ce n’était pas de l’hostilité qu’il percevait dans les pupilles scrutatrices. Non, cela ressemblait à de la retenue, à une inquiétude qui cachait les regards curieux sous des sourcils froncés. D’un coup, deux hommes s’approchèrent de lui et, saisissant chacun l’un de ses bras, l’entraînèrent dans un coin de la pièce.


Saisi d’effroi, Jean ne sut comment réagir. Qu’est-ce que cela signifiait ? Ces habitants ne pouvaient tout de même pas, eux aussi, lui en vouloir d’être une femme ! Coincée entre l’angle du mur et les deux serviteurs, les sens en éveil, Jeanne questionna les hommes :

— Que me voulez-vous ?


Il y eut des signes d’apaisement, des doigts sur les lèvres en guise d’ordre de silence et l’étreinte autour des bras du valet se desserra. Un troisième domestique s’approcha alors. Il était vêtu comme les autres hommes mais la rudesse de ses gestes en faisait un personnage plus imposant.


Dans un langage compréhensible bien que saccadé, il expliqua à Jean qu’il ne fallait pas se fier au vice-roi. L’humeur de ce dernier, capable de changer d’une minute à l’autre, avait déjà causé bien du malheur à d’autres voyageurs trop confiants. Le valet fut chargé de prévenir son maître et tous les hommes costumés qui l’accompagnaient. C’était une question de survie. Si la colère prenait le monarque face aux étrangers, ils courraient tous un grand danger.


Décontenancée, la voyageuse n’en crut d’abord pas ses oreilles. Le vice-roi s’était montré très aimable lorsqu’il leur avait ouvert son palais ! Et puis eux-mêmes n’étaient ni portugais ni espagnols et ne s’étaient jamais présentés comme des colonisateurs supplémentaires. Afin de se libérer de ses homologues brésiliens, Jeanne garantit tout de même que le commandant de l’expédition serait averti en personne. Quelle mission !

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